Résumé de la Thèse.
Thèse/Arts plastiques/UMB de Strasbourg/2004.

Introduction

Mon mémoire de thèse présente l’ensemble de ma réflexion théorique et retrace mon parcours au cours de ces dernières années à travers les questionnements ou les doutes personnels qui m’ont poursuivie dans ma création artistique et ma vie personnelle.

Quotidiennement plongée dans les préoccupations propres à mes activités artistiques, je ressentais la nécessité de prendre du recul, et, de manière posée, d’essayer de porter sur elles un regard plus distant. Et c’est justement la distinction entre le travail artistique et la recherche universitaire qui m’a permis la distanciation nécessaire à une analyse objective.

En effet, souvent, un plasticien a coutume de concevoir sa propre production en suivant des intuitions d’un caractère affectif et subjectif plutôt que de l’analyser selon des raisonnements objectifs.

En passant de la réalisation à l’analyse de ma production, j’ai essayé de placer mon travail plastique en perspective en lui apportant une autre interprétation, sans m’en tenir exclusivement à une position centrée vers moi même. De la sorte, j’ai voulu aussi apporter ma contribution à la réflexion contemporaine en arts plastiques et j’ai conçu la rédaction de cette thèse dans une volonté de transmission.


L’acte générateur

Afin de remonter aux sources dans lesquelles puise ma création, j’ai évoqué tout d’abord la situation générale de la société contemporaine et les contradictions auxquelles s’est trouvée confrontée ma génération dans le contexte propre à ma société d’origine. En décrivant, par exemple, l’opposition radicale entre nature et culture, entre technique et concept ou bien entre les différents systèmes politiques qui, en exerçant leur emprise sur le monde, menacent la place de l’individu.

Mon évolution personnelle et artistique trouve donc son origine sous le signe de la fracture, ou, plus exactement, des fractures. Il s’agit tout d’abord de la fracture subie par la Corée, écartelée entre les tensions, les tentations de la réalité contemporaine et sa culture traditionnelle, ses racines perdues après l’occupation japonaise et les troubles de l’après-guerre.

En second lieu, j’exprime dans ce texte une fracture personnelle : le refus des chemins tracés, des modèles proposés.

Vient ensuite la fracture de l’exil : cet éloignement géographique et culturel délibérément choisi qui m’a conduit à vivre dans une identité culturelle hybride, en l’occurrence en France. Cette fracture fut certainement la plus enrichissante en terme d’évolution artistique et personnelle. De fait, on peut placer ce travail de formulation théorique et de mise en contexte historique sous le signe du passage, du croisement des influences et c’est ce qui détermine par ailleurs ma démarche artistique.

J’ai voulu décrire à ce moment la fracture, la faille qui sépare deux réalités antagonistes. Décrire la fracture mais aussi ce qui l’environne, ce qui l’entoure et délimite ses contours.

En ce sens, je souhaitais témoigner d’une volonté de surmonter cette fracture, de la dépasser, de franchir la frontière et de parvenir à rejoindre l’autre bord. C’est-à-dire de réussir à faire des allers-retours entre deux réalités contradictoires, entre deux mondes, entre deux cultures, entre deux espaces que tout paraît opposer. Et c’était aussi vouloir surmonter le principe de contradiction à l’œuvre dans tout récit, qu’il soit personnel ou culturel.

Après avoir brossé ce tableau d’ensemble, j’ai été poussé à aborder les phénomènes relationnels propres aux objets et aux installations artistiques. Et j’ai pu extraire un aspect dialectique de cette réalité de départ en ramenant peu à peu l’analyse vers la matérialité des œuvres.

 

La problématique du lien

Tout cela m’a amené au cours du deuxième chapitre à conceptualiser une idée du lien spatial et temporel autant qu’existentiel : comme un processus qui engendre le fonctionnement du monde dans son évolution selon un mode souvent antagoniste. Comme l’amour et la haine, l’attirance et le rejet, ou la rupture et le renouvellement, qui s’opposent tout en nous permettant de nous relier.

Cette notion de lien s’était alors imposée dans l’expression de mon travail, d’où cet effort de conceptualisation. Selon mes conceptions plastiques, il gouverne les rapports entre des objets de nature antagoniste, que ce soit dans le domaine physique ou conceptuel. C’est vouloir penser le lien comme la dynamique qui résulte des oppositions et pousse à leur résolution.

Je me suis tout d’abord attaché à préciser la notion de lien à travers les mouvements intellectuels et artistiques récents, que ce soit dans l’acte de création, dans la mise en forme de l’œuvre ou dans la relation entre l’œuvre et le public.

Dans un premier temps, j’ai ainsi voulu réunir les différents points de vue qui serait susceptibles de relever de cette notion de lien, ou, autrement dit, «d’interrelationnel » comme geste à placer au principe de la création. Dans mon système de références ont pris naturellement place François BAREE ou Gilles DELEUZE, pour ne citer qu’eux.

En second lieu, j’ai essayé d’illustrer cette notion de lien à travers des exemples pris dans l’histoire de l’art. Elle est plus particulièrement détaillée dans le regard porté sur les œuvres fondatrices du début du siècle : avec les premiers collages et assemblages de Picasso, Braque et Schwitters ou dans les mouvements plus récents comme les Nouveaux Réalistes (chez Arman, Christo) et l’Arte Povera (on peut citer Pennone, Pino Pascali).

Ces exemples, pris autant dans le corpus philosophique que dans l’histoire de l’art, dessinèrent une image du lien comme étant un processus de mise en relation. En effet, ils rendent tous manifestes la volonté d’établir une jonction entre des notions comme le naturel et l’artificiel, la matière et le matériau notamment.

En le rattachant à ces références, j’ai pu définir le concept qui sous-tend mon travail : l’étude du lien en tant que système. J’entends par là un système qui se nourrit du prévisible et de l’aléatoire, mais qui se développe dans un esprit méthodique voire mécanique. A mon sens, ce processus de mise en relation rend visible l’articulation entre les éléments plastiques et renforce leur singularité. Il régénère le sens et l’existence des matériaux et il me guide dans la réalisation de mes travaux personnels.

La démarche artistique

Dans le troisième chapitre, j’ai ensuite cherché à situer mes préoccupations théoriques dans le champ de l’histoire de l’art, notamment au travers d’un bref commentaire de l’influence essentielle de Duchamp sur la création du XXème siècle. Mais aussi en les mettant plus étroitement en parallèle avec les trajectoires suivies par les artistes de l’Arte Povera et du Minimal Art américain.

J’ai enfin souhaité articuler ma démarche personnelle tant au plan conceptuel qu’à celui de sa matérialisation artistique, en formulant comme principe de création le lien entre deux forces antagonistes.

Cela m’a conduit à analyser les constituants de l’œuvre et leur antagonisme intrinsèque : matière/matériau, caractéristiques physiques et plastiques, avant d’étudier les systèmes de lien eux-mêmes, dans leur diversité et leur puissance signifiante.

A partir d’exemples tirés de ma production artistique personnelle, j’ai ainsi décrit l’opposition entre des matières hétérogènes et mis en valeur des techniques comme  le cerclage, le ligotage ou encore la couture, notamment parce qu’elles permettent de faire apparaître la relation prévalant entre caractéristiques physiques ou plastiques des œuvres.

Dans le large éventail de techniques traditionnelles ou modernes que je déployais à cette époque surgit un point commun, qui relève de la concrétisation du lien physique par l’entremise de systèmes matériels : fils végétaux, bande métallique, lanière en plastique, serre-joint, par exemple. Cette concrétude du lien physique, alors appliqué directement sur les matériaux, n’apparaît pas dans la dernière étape de mon travail, bien qu’il n’ait pas pour autant renoncé à son caractère objectal.

Plus proches de l’installation, mes travaux les plus récents reposent sur la juxtaposition. Celle-ci continue d’être une manière de rassembler et de réunir les matériaux, mais cette fois-ci par simple positionnement. La juxtaposition n’implique aucun système de lien mécanique ou matériel entre les objets comme précédemment, mais elle propose au spectateur d’opérer par lui-même un lien virtuel ou mental entre les composants de l’œuvre.

Cette méthode implique donc particulièrement le regard et le jugement du public. L’œuvre en soi n’est plus une fin puisqu’elle reste en l’état de proposition. La réception de l’œuvre repose enfin sur une cohabitation moins oppressante ou moins charnelle. Elle varie en fonction de l’espace ou des conditions environnementales. Après avoir longtemps travaillé la sculpture et pratiqué d’autres formes d’objets possédant le plus souvent une finalité invariable quel que soit leur lieu d’exposition, il m’intéressait en tout cas de me livrer à une telle expérience.

Quels que soient les procédés décrits plus haut, ils démontrent la réalité d’une interdépendance des matériaux d’une manière temporelle ou spatiale, mentale ou physique. Le lien en tant que système révèle davantage l’individualité de chaque élément : sa forme, sa texture, sa résistance, etc. Il nous révèle enfin une réalité paradoxale : plus il y a de contrainte, causée par un système de lien « autoritaire », plus l’individualité des constituants ressort de manière visible et forte.

Dans la volonté d’afficher le rapprochement d’éléments antagonistes se joue, je crois, dans la structure profonde de l’œuvre, le désir de surmonter la contradiction. Au-delà du principe de contradiction logique affiché, ma volonté créatrice transmue en effet l’œuvre en une proposition qui laisse libre le spectateur de toute interprétation, de toute narration. Au-delà du récit, mon travail artistique se borne à créer les conditions d’une suggestion.

Conclusion

 Aujourd’hui, je constate que le lien n’est pas seulement un sujet de recherche artistique mais qu’il renvoie à la nature intrinsèque à toute œuvre d’art, qui est elle-même lien, qui sauve et réconcilie.

La trajectoire que j’ai affinée au fil de ce travail de thèse m’a, dans le même temps, permis de m’affirmer dans ma démarche de créateur en lui donnant une meilleure assise théorique, tout en me permettant de renouer les liens avec mon environnement artistique aussi bien qu’avec les courants les plus marquants de l’histoire de l’art, dans une acceptation réciproque des différences et une nouvelle curiosité.

De plus, je suis parvenue à redéfinir mon projet artistique dans le sens où il vise désormais à tisser des relations entre individus aussi bien qu’entre groupes sociaux très éloignés, en respectant leur identité, en contribuant ainsi à casser l’individualisme et le dogmatisme qui caractérise notre société.

Cet ensemble de réflexions m’offre donc un nouveau point de départ pour mon activité artistique tout comme au plan personnel. Il me semble crucial, à ce titre, de poursuivre cet effort de recherche en rompant avec le relatif isolement dans lequel se trouve trop souvent placé l’artiste. Je vise désormais à me donner les moyens d’exprimer la transdisciplinarité vers laquelle tend ma démarche et souhaite en retour exercer au sein d’un environnement porteur, dans lequel je pourrais à la fois être en position de transmettre mon savoir-faire et de me confronter aux pratiques artistiques d’autrui en partageant nos expériences.

 

"Le jeu entre deux forces antagonistes comme principe de création."
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